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Italiens et américains : Deux visions différentes des canards Disney

Il est toujours intéressant d'analyser et de comprendre la "cassure" historique qui existe entre les bandes-dessinées américaines et italiennes. Dessins, scénarios, et personnages sont autant des sujets qui les séparent. Les fans, aussi, sont partagés, même si le traditionalisme qui veut que les histoires barksiennes soient les meilleures, à tout point de vue, est très présent et répandu, encore aujourd'hui. Revenons ici sur l'histoire de la guerre Américano-italienne pour la bande dessinée Disney.

Le bon, la brute, et le truand (1937-1950)

Dans cette histoire, il y a un bon, Walt Disney et ses dessinateurs américains qui publient des bandes-dessinées courtes, notamment celles d'Al Taliaferro, destinées à finir de remplir les planches de journaux du monde entier; la brute et le truand sont eux, italiens : 

- Le journal " L'Illustrazione del Popolo " (le truand) peut se vanter d'être la première publication en Italie à avoir accueilli une bande dessinée Disney sur ses pages. Cependant, sans l'accord de la Walt Disney Company. Dans l'illégalité la plus complète donc...

- En 1937, la publication Paperino (la brute) est née, par Federico Pedrocchi : le magazine a hébergé une ou deux pages d'histoires italiennes de Disney en tranches écrites par Pedrocchi ; l'une contenait une histoire en série sur Donald Duck tandis que l'autre présentait Dingo ou les sept nains. L' Ali Albi d'Oro a également publié deux histoires italiennes, aussi de Pedrocchi : Clarabelle entre les griffes du diable noir, et Donald Duck et la pierre philosophale. Une production italienne commence ainsi à s'installer, bousculant, seulement en Italie, pour un temps, le monopole américain.

Romana Scarpa : Le père des artistes Disney italiens

Romano  fait ses début dans le magazine Topolino en 1953. Et pour sa première histoire (une histoire sur Blanche neige), il dessine une histoire scénarisé par le célèbre Guido Martina. C'est après qu'il fera des histoires avec Donald et Mickey.

 

Et il faut dire qu'il aura créé de nombreux personnages dont Brigitte McBridge qui se veut la fiancée de Picsou, Chris Yè-Yè, adolescente nièce de Goldie O'Gilt dont le nom fait référence à la musique de l'époque : les Crooners avec leur beauté qui séduit toutes les filles de Los Angeles, Elvis Presley ou encore Luis Mariano, le chanteur à la voix d'or du pays basque. Il créé aussi Félix le neveu de Génius ou encore Gertrude la compagne de Pat Hibulaire. 

Il est surtout connu pour les grandes histoires qu'il dessine dans les années 1950-1960 qui paraissaient en deux ou trois parties dans l'hebdomadaire italien, et qui ont été éditées en France dans Mickey Parade.

 

Toutefois, l'auteur italien est très lié  avec les Américains tant par leurs scénarios proposés pour ses histoires, que ses dessins restant plutôt précis par rapport à ce qui peut se voir aujourd'hui  de l'autre bout des Alpes :

En effet,  en 1963, Scarpa dessine des BD Disney d'après des scénarios américains destinées au marché mondial dans le cadre de « Studio Program ». Se faisant en 1988, il a été le premier auteur italien à être publié aux États-Unis par l'éditeur Gladstone.  Romano Scarpa s'est aussi beaucoup inspiré de Floyd Gottfredson, dont il a repris certains personnages comme Iga Biva ou Le Fantôme Noir.

 

Scarpa n'oubliera cependant jamais d'où il vient. Dans les années 80, il va animer un test d'une trentaine de secondes afin de convaincre Disney de produire la série animée "La bande à Picsou" en Italie, en vain. La compagnie préférera l'Asie pour un coût de production le moins cher possible, comme c'était la coutume à l'époque : Celle de faire une série pour vendre des jouets, et non pas le contraire. La qualité d'animation des séries animées est alors bien moins bonne, et n'empêchera toutefois pas leur succès, les enfants étant déjà habitués aux productions asiatiques tels que Dragon Ball ou Cobra, diffusés dans le Club Dorothée.

La nouvelle vague italienne (depuis 1990)

Don Rosa et Marco Rota lors d'une convention de fans
Don Rosa et Marco Rota lors d'une convention de fans

Les années 70 voient des artistes italiens arriver, sans reconnaissance, ni révolution esthétique et scénaristiques. On poursuit le travail des anciens...

 

La donne va cependant changer dans les années 80. C'est d'abord Marco Rota qui va apporter une vraie fraîcheur à la production de bandes-dessinées Disney italienne. Le trait est tout-à-fait particulier, intriguant, et très attirant. Les paysages de fond sont superbement dessinés, font rêver, voyager, et coupent vraiment avec la simplicité des histoires italiennes de Giovan Battista Carpi. Don Rosa, lui-même, dira que Rota est son artiste contemporain préféré. 

L'artiste arrive à la bonne période : Carl Barks est à la retraite depuis 1967; Don Rosa n'est pas encore là (sa première histoire sort en 1987);  Romano Scarpa a réduit la cadence; la production américaine en général est à l'agonie...Bref, le moment parfait pour s'implanter ! Les italiens prennent leur envol et se détachent des américains, tant par le style que les scénarios. 

 

La fracture va grossir de plus en plus dans les années 2000 et 2010 avec l'arivée de Marco Gervasio, Aurelio Mazzara, Paolo Mottura..On en arrive à un problème qui divise la communauté de fans : Faut-il moderniser Donaldville et ses protagonistes ?  (téléphones portables, tablettes, internet...). Car beaucoup d'artistes italiens implantent Picsou dans le présent, et en profitent pour ajouter des personnages, et arrondir de plus en plus les traits de ceux qui existent déjà. Il faut aussi rappeler que la production américaine n'existe plus du tout, seuls les artistes scandinaves comme Kari Korhonen, ou Van Horn, s'en rapprochent encore. Les publications Disney, elles, se retrouvent coincées à publier une majorité d'histoires italiennes, ayant déjà trop republié les mêmes histoire de Rosa, ou Barks. 

 

Le bilan ? On a deux courants de pensée dans la communauté francophone des Ducks Disney. Faisons-en la représentation sous forme de métaphore : Pour avoir un fleuve, il faut que des cours d'eau l'alimente. Ces cours d'eau (les histoires italiennes) sont de plus en plus nombreux. On a des enfants et des adultes à la base de ces cours d'eau douce, en haute montagne. Les adultes ont entendu parler des ruisseaux, mais savent que le fleuve  (les histoires américaines) est sûr, beau, et connu de tous. D'ailleurs, contrairement aux enfants, ils connaissent chaque recoin, chaque virage où il passe. Les enfants eux, ne savent pas où il se trouve, et ne le connaisse d'ailleurs pas vraiment. Ils empruntent d'abord les ruisseaux pour pouvoirs rejoindre le fleuve, dont on parle tant chez les ainés. Mais certains ruisseaux sont larges, ondulés, avec du courant, sans; certains ne mènent à rien, et les enfants vont voir ailleurs : ils ne veulent plus chercher le fleuve. Ils abandonnent. Pour les autres, le chemin est plus ou moins long, qu'importe ! Une fois arrivés au fleuve, ils s'extasient, mais n'oublient pas le  chemin pour aller jusque-là. Les parents, eux, n'ont retenu que l'arrivée, le fleuve.  

 

 

Henriques Diego

 

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